Le lendemain matin, nous prenons une voiture de Tamchy pour la Boam
Gorge. Une heure de route plus tard, nous nous arrêtons au point voulu,
c'est-à-dire au milieu de nulle part, dans cette grande gorge aride et escarpée
au fond de laquelle sinue la route. Nous ne voulons pas remonter directement
la vallée de Kongorchok car depuis la route, il semble impossible de
l'atteindre (pente trop escarpée et route du mauvais côté du torrent qui est bien
trop gros pour le traverser). Nous décidons donc de prendre une vallée plus au
Nord, puis de rebasculer dans la bonne vallée ensuite. Ce choix s'avérera
judicieux… Le chauffeur nous laisse donc dans cet endroit désolé où personne ne
s'arrête, ne comprenant pas très bien où nous voulons aller. Ils sont fous ces
étrangers !
Nous commençons donc à remonter la vallée annexe, au fond
de laquelle coule un très mince filet d'eau. Rapidement, nous arrivons à une
fourche. La branche de gauche est à sec, pourtant, c'est celle que nous
décidons de prendre. Nous quittons donc la précieuse eau sans savoir quand nous
en retrouverons…
Peu à peu, le canyon s'approfondit, ses flancs deviennent
verticaux, la roche se teinte d'une couleur orangée. Pas de doute, nous sommes
sur la bonne piste. Sauf que le canyon devient extrêmement étroit et sinueux,
avec quelques passages courts d'escalade. Nous nous demandons de plus en plus où
nous allons aboutir. A chaque virage, nous sommes de plus en plus persuadés que
nous allons nous retrouver coincés dans un cul-de-sac.
Mais finalement, contre toute attente, nous débouchons brusquement
sur un vaste plateau où se dessinent de magnifiques falaises rouges sculptées,
cachant à priori un dédale de petits canyons. Est-ce déjà là ? Impossible, nous
ne sommes même pas dans la bonne vallée, qui est plusieurs kilomètres au nord !
Nous décidons donc de ne pas nous attarder ici, car nous
voulons avant tout rejoindre la "bonne" vallée, quitte à revenir à
cet endroit par la suite si nous n'y voyons rien d'extraordinaire. De plus ici,
il n'y a pas d'eau, mais alors pas du tout… C'est plutôt inquiétant. Nous ne
portons que 5 litres à nous deux, ce qui sera juste pour la journée.
Nous passons alors un col vallonné, sous le soleil
écrasant des heures les plus chaudes de la journée. Pas de doute, ici, le
climat est vraiment désertique. Après les montagnes et leur froide humidité permanente,
ça nous change ! Nous finissons par basculer dans la vallée de Kongorchok (ou
Konorchek, selon la traduction), où nous attend un magnifique torrent.
Cependant, nous constatons que cette vallée est jolie, mais n'a rien d'extraordinaire non plus. Nous décidons de nous établir ici pour la nuit et de
tenter une remontée de la vallée le lendemain. Entre-temps,
Laure se fait piquer par une guêpe, mais rien de grave, pas de réaction
allergique.
Une fois le repas du soir envoyé, nous constatons que la
nourriture lyophilisée (c'est la première fois que nous en prenons depuis le début)
ne nous a pas du tout calés... D'autant plus que les 2 jours précédents, nous
n'avons pratiquement rien mangé (la veille, à Tamchy, le repas avait consisté
en une part de brioche agrémentée d'une barre de chocolat…).
Le lendemain, la tentative de remontée de la gorge est de
courte durée, quelques km à peine. Apparemment, elle n'a rien d'intéressant, et
l'itinéraire est en plus ponctué par des traversées du torrent qui nécessitent
de se déchausser. Nous faisons demi-tour et décidons d'aller nous établir dans
le canyon de la veille et de l'explorer. Ce devait être lui, le canyon de
Konorchek, même si étonnamment, il ne se
trouve pas dans la vallée de Konorchek ! Le torrent voisin doit être suffisamment
important pour lui avoir donné son nom.
Nous revenons donc sur nos pas et installons la tente
pour les jours à venir. Vient alors la question : où trouver de l'eau ?
Impossible de revenir la chercher quotidiennement dans la vallée de Konorchek,
c'est bien trop loin et il y a pas mal de dénivelée ! C'est là que je me
souviens de la première gorge que nous avons remontée, avant de bifurquer vers
le canyon à sec. Dans cette gorge, coulait un (très) mince filet d'eau. En
allant au nord, on doit logiquement retomber dessus. Nous partons alors dans
cette direction, marchons 1 ou 2 km dans un paysage très accidenté avant d'effectivement
retrouver ce "micro torrent". Il est vraiment petit, je me demande
comment l'eau ne se perd pas par infiltration au bout de quelques mètres ! De
plus, l'eau est très sableuse et très trouble. Mais bon, peu importe, nous
avons soif !
Les gourdes remplies à nouveau, nous revenons vers le
canyon. Décidément, nous n'arrêtons pas les allez-retours ! Nous parcourons des
km en restant plus ou moins au même endroit… De plus, nous devrons aller nous
recharger en eau au moins une fois par jour !
Nous allégeons les sacs, laissant l'inutile dans la
tente, puis démarrons notre exploration. A partir de là, inutile d'écrire quoi
que ce soit, les photos parlent d'elles-mêmes. Ces canyons sont époustouflants,
et n'ont rien à envier aux plus beaux paysages des US, comme Bryce Canyon. Le
terrain est d'ailleurs assez semblable, même si ici la roche / terre est moins
rouge mais plus ocre. Mais contrairement aux US, il y a ici le plaisir d'avoir
découvert le site par nous-mêmes… et de n'avoir strictement personne !
Le soir, après un maigre repas au diesel (suivi d'une
autre expédition "remplissage de gourde" vers l'unique torrent du
coin), nous nous couchons de bonne heure, décidés à se lever à l'aube le
lendemain, soit vers 6 heures. Auparavant, j'ai pris soin de tailler dans le sol des
"canaux" autour de la tente pour dévier l'eau de pluie d'un éventuel
orage nocturne. En effet, nous sommes à peu près dans le fond d'un vallon (pas
tout au fond, évidemment) et des traces de gros écoulements passent non loin de
la tente. Il ne faut pas oublier que si un tel canyon existe, c'est qu'il est
taillé par l'érosion de l'eau. C'est donc qu'il pleut, et même sacrément par
moments !
Durant la nuit, nous sommes justement réveillés par un
colossal orage… qui nous évite cependant d'une bonne dizaine de km. Dans la nuit
d'un noir d'encre, nous pouvons voir un nombre d'éclairs hallucinant,
pratiquement un ou deux toutes les 5 secondes, et ce pendant des heures. L'orage
s'éloigne vers Issyk Kul. Ouf ! Cependant, nous ne faisons pas les fiers : je
n'avais jamais vu un tel orage, et s'il avait éclaté au-dessus du canyon, nous
aurions été complètement pris au piège : le canyon aval récupérant les eaux de tout
le plateau aurait été rempli par un énorme débit, interdisant tout retour. Et
ce canyon est la seule porte de sortie ! De l'autre côté se dressent les pics enneigés
de l'Ala Too, hauts de 4000 à 5000 m.
Le lendemain matin, nous explorons des gorges plus
profondes. Les premiers rayons du soleil illuminent le canyon d'une lumière
magnifique, offrant des couleurs oranges et saturées. Nous remontons un canyon
complet, revenons, puis décidons de remonter la vallée principale jusqu'au bout.
C'est long, sinueux, ça se rétrécit de plus en plus, ça monte, ça s'encaisse,
les parois prennent des formes de plus en plus fabuleuses. Puis nous arrivons à
peu près à l'extrémité : des tracés d'érosion caillouteux et verticaux tombent
le montagne au-dessus. Mais nous ne voyons rien d'autre, toujours coincés au
fond de notre vallon. Je décide alors de faire un peu d'escalade pour atteindre
une arête, entre notre canyon et le voisin. Cette arête, je le devine d'en bas,
surplombe l'intégralité du réseau de canyons. La montée n'a pas l'air si dure :
ce n'est pas vertical et des rainures tracées par l'eau permettent de monter en
y coinçant les pieds. Le problème, c'est que très vite, le sol devient
complètement pourri et s'effrite en une poudre rouge légère. Pas grave :
changement de technique, on plante les pieds et les mains, comme dans de la
neige, et on grimpe en conservant une vitesse minimale permettant de placer le
pied plus haut avant que tout le poids du corps ait fait s'effondrer la terre. Tant
bien que mal, couvert de poussière rouge (dommage pour le T-shirt clair, le seul
à peu près propre qui restait), j'arrive en haut de l'arête. Et ça vaut le coup
! Climax. Le point est encore plus haut que ce que je pensais et la vue sur
tout le cirque est à couper le souffle. De tous côtés s'étend un vrai dédale de
centaines et centaines de canyons, pour la plupart invisibles autrement.
Quelques temps après, nous sommes de retour à la tente.
Le ciel est bleu, le temps va être extrêmement chaud cet après-midi. Nous
partons remplir les gourdes de nouveau. Seulement, alors qu'après être allé
dans la vallée annexe, nous revenons en vue d'un canyon, une grosse frayeur
nous prend : le ciel est noir, un énorme nuage d'orage est en train de se
former à une vitesse hallucinante au-dessus du plateau et des pics enneigés en
arrière-plan. Le tonnerre se met à gronder. Une demi heure avant, il n'y avait
que le ciel bleu. Je consulte ma montre-baromètre : la pression atmosphérique est
en chute libre. Et vu le vent, pas de doute, celui-là, on va se le prendre.
Que faire ? Deux solutions s'offrent à nous, aussi
mauvaises l'une que l'autre : 1) rester là et s'enfermer dans la tente le temps
que ça passe, au risque de se retrouver ensuite coincés sur le plateau ,car le
canyon de sortie sera inondé. 2) partir
tout de suite, au risque de se faire rattraper par l'eau dans ce même canyon de
sortie. Nous optons pour la seconde option. Le canyon de sortie
n'est étroit que sur une portion finalement assez vite expédiée. Nous n'avons
jamais plié le camp aussi rapidement. En 10 minutes, les sacs sont prêts. Au pas de course, nous redescendons le canyon. A peine
arrivés en bas, au niveau de la Boam Gorge, nous sommes rattrapés par une très violente
averse de grêle. Sur ce coup là, on a eu de la chance.
Le lendemain, nous faisons du stop pour rentrer à la
capitale.